Présentation publique des sosies
Vendredi 15 mars 2024 s’achève un premier cycle du projet autour des sosies.
En tant que médiatrice, je rejoins le groupe qui a travaillé sur deux jours en mon absence pour assister à une clôture partielle du projet, en présentant à un public restreint, mais public tout de même, le fruit du travail autour des sosies avec Marielle Pinsard. Les seuls indices que nous avons eus sont des photos postées sur le groupe de La Marmite, avec des personnages qui apparaissent à grand renfort de maquillage et de costume, très convaincants. Voir les participant·es sous un autre jour témoigne de leur engagement dans le versant création artistique du projet de La Marmite.
Je tâtonne un moment pour trouver le studio réservé aux professionnels, le 5bis, situé dans le quartier industriel et populaire de Montelly, entre des ateliers et des garages. Un immeuble des années 80 héberge au premier étage un appartement réaménagé en véritable studio de création, avec matériel lumière et son, qui met les participantes en réelle situation de production spectaculaire.
Tel est le credo de Marielle Pinsard, qui n’est pas sans rappeler l’éducation populaire : c’est en faisant qu’on apprend et en s’emparant d’un sujet – ou d’un micro – que l’on est entendu. Point d’échauffement, de didactisation ou d’analyse, c’est un vrai travail de création en immersion autour du costume, du maquillage, de la coiffure et de la mise en scène qui va permettre à l’interprète de toucher ce dévoilement, cet engagement, cette confiance aussi que nécessite le fait d’être exposé aux yeux du public. L’artiste imaginera d’ailleurs pour la suite un travail avec des professionnels tels qu’accessoiriste, maquilleuse, qui ont une importance cruciale dans son travail.
Ambiance concentrée pour la préparation
Grace et Carolina se maquillent, arrangent la fameuse perruque
L’ambiance est à la concentration : Marielle Pinsard, contenante par sa présence, son exigence, ayant incité chacun à choisir, assumer son sosie, parfois mélangé entre plusieurs supports d’identification, est maintenant à choisir des morceaux musicaux de tendance électro diffusés par un matériel son de haute qualité.
Laura, l’autre médiatrice, m’ouvre la porte en diva dorée. Nathalie se maquille en faisant ressortir sa rousseur. Maria se farde comme une pin-up des années 50. Carolina met en valeur ses lèvres avec un rouge que l’on sent inhabituel chez elle. Grace, toute en blondeur de femme fatale, se maquille, parfois avec l’aide de sa fille. Les gestes sont précis.
Chris manque à l’appel, il a posté un message sur le groupe le jour-même, il a été présent sur la moitié de la préparation, et n’avait pas vraiment stabilisé le choix de son sosie, tout comme Arlette ou Zara qui n’ont pas participé à l’ensemble du processus. Florence a eu un empêchement personnel, c’est une présence très dynamique et soutenante pour le groupe, mais il est question qu’elle y revienne, car sa prestation entre Shakira et le sport de combat semble avoir été très convaincante. Il y a donc 5 personnes qui vont se produire ce soir.
Pour ce qui concerne le public sont présents : Macha, la coordinatrice, et Cristina, qui travaille à l’administration de La Marmite, et qui suivent de près le processus et le travail que l’artiste fait avec le parcours vaudois, et Mathieu Bessero-Belti, membre du comité de La Marmite, venant du Valais. La présence de Marielle et la mienne complètent le public, soit 5 personnes dans ce studio de répétition.
Tout le monde prend possession du plateau
Après un bref récapitulatif et compte à rebours, Marielle présente le projet, et c’est parti pour la présentation d’une trentaine de minutes, intense, touchante, fluide et puissante.
On déclenche la caméra, et on commence avec Maria, qui raconte et situe son sosie Carmen Miranda, non sans petites incisions critiques à consonance féministes ou postcoloniales (il faut dire que la prestation « bananas is my business » de son sosie est corsée depuis cette perspective). Elle s’apprête en direct en mettant une coiffe impressionnante. Dans la difficulté d’enfiler son costume de tulle vert, parfait pour l’occasion, elle ne se démonte pas et intègre cet imprévu dans le jeu intense, mi-préparé mi-improvisé qu’elle affectionne. Le personnage interprété par Laura fini par lui venir en aide. Elle termine sa présentation avec une chanson typique de cette artiste, produit d’un imaginaire colonial étasunien sur une femme brésilienne. Le ton est donné.
Camen Miranda dans Bananas is my business, l’exotisme générique de l’Amérique Latine fantasmé par les USA
Maria dans la peau de Carmen Miranda
Laura enchaîne, en pleine lumière, dans un jeu à la fois statique, intimiste, burlesque, en interprétant en play-back la chanson de Marisa Paredes dans le film d’Almodovar de 1991 Talons Aiguilles. La chanson pleine de souffrance et de chagrin, le visage si expressif de l’interprète continuent de nous embarquer en tant que public.
Marisa Paredes reprenant la chanson de Luz Casal Piensa en mí dans le film de Pedro Almodóvar Talons aiguilles
Laura l’incarnant le temps d’une chanson
Carolina prend le relais, avec un playback de Selena, dansé pétillant et sautillé, plein de jeu de cuirs et de cheveux, en rouge et noir, mi-naïf mi-bad girl. Elle utilise l’espace, arpente, dans un jeu très physique, qui, nous le verrons plus loin, rappelle celle du sosie des années 80.
Selena lors d'un concert en 1995
Carolina dans sa performance énergique
Grace poursuit avec une démarche chancelante et empêchée depuis le fond de scène. Les autres interprètes sont là, à vue, réagissent, interagissent finement, se déplacent parfois, tout comme Grace faisait semblant de fumer jusque-là. Marylin, dans toute sa fragilité de sex-symbol et de femme, vêtue de blanc en robe, gants et boa, s’incarne dans la peau de Grace captant la lumière, si proche du micro. L’interprétation face public, plus courte mais qui laisse entrevoir chaque détail nous touche de générosité. Celle qui interprète Marylin Monroe dans son célèbre Happy birthday Mr President finit en tapant des mains et sautillant.
Marylin Monroe et sa fameuse robe cousue sur elle en 1962
Grace lors de sa performance
C’est Nathalie qui termine le cycle, à califourchon sur une chaise, lisant les paroles sur son smartphone, et enchaine le mythique Libertine, dans un jeu très physique, dansé, engagé, que nous n’avons pas l’habitude de voir chez elle. Elle dira plus tard que c’est la première fois qu’elle fait du théâtre, ayant travaillé avec un plasticien lors du parcours de La Marmite en 2020 et n’ayant jamais pratiqué personnellement. Il semble qu’en confiance dans ce groupe et pleine d’ouverture, elle n’attendait que ça ! Elle habite toute la chanson, tournant autour de la chaise, reprenant aussi des mouvements évocateurs de cette virtuose de la danse (et de la provocation !) qu’est Mylène Farmer.
Mylène Farmer en 1986
Nathalie, libre et osée dans sa prestation
Ce sont des facettes fort distinctes du féminin à travers les cultures et les époques qui nous sont présentées.
Nous sommes bluffé·es par la présentation et ému·es lors des saluts : la proximité des interprètes, leur engagement dans le jeu, la puissance de la musique orchestrée par Marielle Pinsard, qui intègre des applaudissements en transition, l’intensité de la lumière en fait un vrai moment esthétique qui nous transporte.
Marielle reprend de manière positive et soutenante, tout en donnant des pistes d’amélioration du jeu et surtout des interactions entre les sosies qui regardent. Elle voit un potentiel pour poursuivre le travail avec ce groupe, en rejoignant le groupe du parcours vaudois actuel. Les interprètent débriefent, le public remercie et s’exprime. Marielle complète le processus en nous montrant sur son ordinateur les vidéos des prestations qui ont inspirées celles que nous avons vues. Dans son travail, cet écho est diffusé en direct, ce qui permet à chaque personne du public d’avoir la référence et de voir l’original et le sosie en simultané.
C’est l’heure de passer à l’apéritif dînatoire, tandis que Marielle revient auprès des participantes pour les inviter à rejoindre la création en mai, selon un planning à convenir de manière autonome. N’est-ce pas là que l’on voit la maturité d’un groupe : lors de son émancipation dans des prolongements du projet dont l’organisation nous échappe ?
Dans l’attente d’aller voir la création de Marielle Mais qui a donc tué Bill Murray plusieurs fois ? au début du mois de mai, nous décidons de créer un groupe whatsapp plus confidentiel que celui du chœur afin de partager les photos et vidéos de ce moment.
Maria, Laura, Grace, Carolina et Nathalie, alias Carmen Miranda, Marisa Paredes, Marylin Monroe, Selena et Mylène Farmer