Le film : Où il est question de Dieu, de tajine et des jumeaux
Présents : Thierry, Jean-Daniel, Emilie, Vincent, Mouna, Nadia, Grace.
Le rendez-vous est annoncé par message vocal sur le groupe, un accent chantant nous situe une « fontaine avec une batterie », au Flon, sans préciser d’adresse. Ce n’est pas de batterie de voiture dont il s’agit, mais d’une batterie-instrument, sculpture controversée installée dans le quartier gentrifié du Flon, à proximité de l’HEMU, la Haute Ecole de MUsique, où nous avons rendez-vous.
24Heures du 2.10.2017
Une participante a annoncé qu’elle aurait un petit retard cette fois, 12 minutes MAXIMUM, car certaines gardent un long souvenir de l’attente de la fois précédente qui avait mené le groupe à la forêt entre chiens et loups. Cette fois c’est juste le temps pour les deux autres participantes d’apprendre que c’est l’anniversaire de Jean-Daniel Piguet en ce jour ensoleillé, il a presque l’âge de leurs enfants : l’une s’empresse d’aller acheter de quoi fêter un anniversaire improvisé.
Nous entrons dans l’HEMU par une porte dérobée, « on rentre par la sortie, c’est déjà fini ? » ironise une participante. Thierry Weber nous présente rapidement cet endroit, comme un endroit de pratique et de formation musicale de haut niveau, qui abrite toutes sortes d’instruments et de styles musicaux. Nous déambulons dans le bâtiment qui nous promet ce qui semble être un distributeur à bonbons : en réalité ce sont des bouchons d’oreilles ! La traversée du couloir nous offre une succession de sons et musiques inédit. Sur la photocopieuse ce ne sont ni des rapports comptables ni des fiches de maths, mais bien entendu des partitions qui trônent…
Vincent Adatte, de la Lanterne Magique mais aussi programmateur cinéma de La Marmite, a choisi le film Pompoko, qu’il introduit rapidement comme un dessin animé qui aborde des thèmes historiquement situés et contextualise l’auteur et la culture japonaise shintoïste qui considère que « toute matière vivante a une âme, le profaner revient à un sacrilège ».
Jean-Daniel propose de porter l’attention sur les sons et musiques pendant le film, en lien avec le thème du parcours portant sur les liens entre forêt et musique. La projection a lieu dans cette luxueuse salle de conférence de l’HEMU, tandis que les badauds font les boutiques à nos pieds. Nous traversons ce film qui aborde, entre autres, les questions de développement urbains, malbouffe et gourmandise, non-violence, folie, surpopulation, divertissement, résistance et sens de la fête. Certains d’entre nous sursautent ou piquent du nez. Lorsque l’ancêtre vénérable fête son 1999ème anniversaire, nouvelle occasion de fête pour la communauté Tanuki, nous proposons à Jean-Daniel de souffler sur l’écran les bougies du beau gâteau d’anniversaire.
A l’issue de la représentation, après une brève pause, quelques retours :
« Je ne suis pas bien pour les films ou la télé ou comme ça, des fois je m’endors »
« C’est bien ce film je pourrais le montrer à mes enfants et après on parle un peu, on discute de ça »
« C’est un bon message, on a bien compris »
« C’est sympa, on a du plaisir à voir et respecter la nature, ça nous conscientise de voir ça, les personnes souvent ne sont pas respectueuses, l’autre fois j’ai vu des montagnes de poubelles, comme dans le film, il faudrait payer quelqu’un pour ramasser ça »…
Ce film est apprécié comme « bon pour les enfants », mais l’une dit « et pour les grands aussi ». Elle pense qu’il faut laisser la nature à la nature, et se dit « contre les gens qui prennent un chat ou un chien à la maison… Dieu les a faits pour la Nature, ils doivent y rester. A la limite si on a un jardin, bon… ».
Vincent nous ramène au film, la scène du cortège dans laquelle les Tanuki doivent faire preuve de tout leur art de transformation afin de terrifier et vaincre les humains, mais leur évènement est récupéré par un promoteur de parc d’attractions… Le cortège fait référence à une tradition existante au Japon, avec des personnages bien identifiés, comme le Parc d’attractions qui est celui de Hello Kitty.
Ces personnages dépassent les présentations que l’on voit souvent dans les dessins animés américains « où les personnages sont soit gentils soit méchants. Ici, chacun a ses raisons d’agir et cela les oppose mais on comprend les motivations de chacun. Même chez les Tanuki il y a des personnalités et caractères différents : la grand-mère puissante, le guerrier impulsif, le jeune qui pèse le pour et le contre… Ils réagissent différemment au problème des humains, les uns luttent, les autres alertent les médias, les autres encore s’adaptent ».
Ce que nous avons pensé de la fin du film ?
« C’est bien parce que chacun arrive à vivre à sa manière : les Hommes, les Tanukis adaptés qui se transforment comme des hommes, les Tanukis en liberté, finalement cette fin est très jolie, tout le monde est content, la ville est la ville, la forêt est comme avant. »
« Moi je la trouve triste cette fin, les seuls Tanukis qui survivent ne peuvent pas respecter leur être et leur nature, ils doivent devenir comme ceux qui les oppressent »
« Je me demande si on n’est pas tous des Tanukis naïfs, joyeux et communautaires transformés en Humains stressés et productifs ! »
« Les Tanukis vivent comme des Hommes, mais par moments ils peuvent traverser le mur, comme nous quand on va dans la Nature, on se fait du bien, on se ressource… On a besoin de la Nature, c’est comme la religion, ça touche l’âme et l’esprit… Je ne sais pas moi il y a aussi l’ergothérapie et plein de choses que je ne connais pas, ça nous apporte quelque chose même si la vie est dure »
« Finalement la question de ce film c’est comment être nous-mêmes ? A la fois c’est triste de devoir s’adapter à ce point pour survivre, à la fois dans le film il y a plein d’aspects joyeux, ils s’amusent beaucoup »
Et cette histoire de « peau de couilles », ou « puissance transformiste des testicules » ?
« Au Japon ce film a été un succès familial énorme, et cela n’a posé aucun problème. Ici en Suisse, on est plus mal à l’aise parfois avec cette question de la peau des testicules qui est la partie la plus magique des Tanukis mâles, qui peut se transformer en parachute ou tapis ou ce qu’on veut »
Et la musique, alors, dans tout ça ?
« La musique est intéressante même si elle n’apporte pas grand-chose. Elle renforce surtout les scènes et la présentation de l’histoire ».
« Oui, à chaque place, chaque mouvement sa musique »
Une participante interpelle les autres :
« Vous ne croyez pas que la musique de ce film ressemblait à la musique qu’on a entendue l’autre fois dans la forêt ? La musique quand on était vers le lac là… »
« Ah oui cette musique-là était la plus dramatique, la plus cinématographique… »
Jean Daniel relève qu’« il y avait aussi beaucoup de musique dans l’histoire, des moments de fête, de séduction, de guerre qui sont accompagnés par la musique »
« Oui, on y trouve de la musique moderne ou traditionnelle, une inspiration des chansons d’enfants, des instruments qui apparaissent dans le film, des musiques et des sons comme le tambour, la tronçonneuse, la bicyclette »
« Ah oui il y a cette scène où ce Tanuki déguisé en belle femme perd ou efface son visage pour effrayer le policier, et après toutes les personnes que voit le policier effacent leur visage, c’est drôle… Et en même temps ça dérange, ça fait un peu peur ».
Jean Daniel relève : « Cette histoire de lutte pour son territoire et maintenir la vie, ça me fait penser à hier une manifestation à Lausanne pour soutenir la ZAD, Zone à Défendre de la Colline, ils veulent défendre cette montagne du Mormont contre l’agrandissement de l’entreprise Holcim qui fabrique du béton, c’est un peu la même histoire en 2021 que ce film fait en 1994 qui raconte l’agrandissement de Tokyo en 1964. Ce sont toujours des êtres vivants qui ont besoin de leur espace ».
« Moi je vais en parler avec mes enfants, il est bien pour discuter ce film»
« On peut le trouver le film-là ? »
« Sur Netflix ou la pateforme Disney ? Non, je ne pense pas, c’est trop subversif comme film »
« J’aimerais bien le voir avec eux »
« Alors oui je peux vous faire des copies que je vous envoie ?! »
« Moi je trouve bien : on voit le film et après aussi on parle un peu ensemble de ce film comme on le fait maintenant »
« Moi ce que j’aime dans ce film c’est qu’en même temps il me divertit, il me fait sentir des émotions, et en même temps il me fait réfléchir. C’est un film qui parle d’une culture lointaine que je ne connais pas et en même temps il parle de moi, parle de nous. Ça c’est ce que j’attends d’un film en fait, toutes ces choses. Il parle du monde, même si c’est un dessin animé » dit Vincent.
C’est quoi ton moment préféré ?
« Moi c’est le début, quand je ne sais pas de quoi ça parle et c’est des surprises, ça évolue »
« J’aime quand on voit les fleurs, les oiseaux, la nature, c’est impactant ces émotions, ça nous conscientise par rapport à notre époque. Quand on enlève la nature, ça nous fait du mal, il faut trouver un équilibre.»
« Ca me fait rêver d’aller à Tokyo »
« Moi j’ai aimé quand les réverbères deviennent des flammes et qu’ils sèment des fleurs sur les arbres, la nature reprend ses droits, cette magie dans la procession j’ai vraiment aimé »
« Ce qui m’a un peu fatigué c’est qu’à beaucoup de moments on a une voix off, quelqu’un qui raconte, et toujours des choses se rajoutent, on ne sait pas trop où on va. Et là au moment de la procession ça me relance dans le film, il se passe vraiment quelque chose » dit le dramaturge.
« Ce qui m’impressionne le plus dans cette procession c’est d’imaginer que ces images magiques ont été dessinées, dessin par dessin. En 1994 on ne peut pas faire d’images numériques encore, donc les maîtres dessinent les images vraiment importantes et après les 100 ou 120 personnes employées dessinent les dessins entre deux images importantes, ça a duré des mois. C’est en passant ces images assez rapidement qu’après cela crée du mouvement, on ne se rend plus compte que ce sont des dessins. »
Nous sortons de la salle, enfin libérés de nos masques, et nous rejoignons le soleil du Parc de Montbenon pour fêter dignement cet anniversaire, en musique bien sûr !
En racontant nos anniversaires d’enfance, nous glissons sur le thèmes des jumeaux : l’un a un jumeau, l’autre est frère de deux jumeaux, l’autre mariée à un jumeau, les autres connaissent des ami.e.s proches qui sont ou ont des jumelles et des jumeaux. Nous parlons de ces moments de vies, la surprise, la fragilité aussi, la complicité et les alliances, l’importance de la nature.
Il est question d’un repas à partager, lorsque le temps sera plus doux. L’une propose de faire des Samboussa, l’autre ce soir reçoit et va préparer un tajine aux pruneaux, avec la viande d’agneau. Durant le temps du Ramadan, nous ne pourrons pas prévoir de nombreuses sorties. Nous essaierons aussi de retrouver les 3 autres membres du groupe qui n’ont pas pu venir aujourd’hui.
Dans la lumière déclinante nous dessinons les rencontres à venir, et la missions de chasser trois sons : un son de « forêt », un son de « ce qui n’est pas la forêt », et un son de « chez moi ».